Après dîner, la partie de cartes terminée,on se mit à bavarder gaiement. L’un des joueurs raconta une histoire de fantômes, qui eut beaucoup de succès. Le colonel lntrépido rit aussi, mais d’un rire sinistre. Et c’est dans le silence qu’il dit : « Tout cela est pure invention, bien sûr. Mais moi je peux vous raconter une tragique histoire de fantôme. Et elle est parfaitement vraie : j’en ai été témoin ».
Cela s’est passé dans la campagne. Avec un groupe d’amis, nous avions chassé la bécasse dans des collines assez éloignées de la « Ville Éternelle ». Nous sommes allés dîner et coucher dans une auberge isolée. On l’appelle l’auberge « Della Torre » parce qu’elle est bâtie à côté d’une vieille tour de l’époque romaine. Le sommet est couvert d’une sorte de parquet qui doit protéger une mosaïque d’époque. On dit qu’en haut de cette tour, quand la lune est à son premier quartier, un fantôme romain se promène. Et malheur à qui va le déranger
L’un des chasseurs, un jeune un peu crâneur, dit en riant : « Eh bien, ce n’est pas moi qui vais y croire, à votre fantôme ! D’ailleurs, je vais tout de suite monter là-haut, et vous me verrez redescendre sain et sauf. »
Or, la lune était justement dans son premier quartier et la nuit était sombre. C’était après dîner un soir comme aujourd’hui où je vous raconte la tragique aventure de ce jeune homme.
L’un de nous lui dit : « Attends, ce n’est pas tout de monter là-haut, il faudra nous donner la preuve que tu n’es pas resté à la moitié de l’escalier, que tu as été jusqu’au sommet. Prends ce clou et ce marteau, tu planteras le clou dans une des planches en haut de la tour. Ainsi, demain matin, nous pourrons vérifier que tu y es vraiment allé. » Le garçon accepte sans difficulté.
Il se lève aussitôt et s’habille de son grand manteau, une sorte de longue cape, car il faisait très froid. Nous l’accompagnons jusqu’au pied de la tour. Il monte seul. Nous entendons ses pas, de plus en plus assourdis. Nous retenons notre souffle. Nous l’entendons ensuite frapper le clou. Et, tout de suite après, un bruit sourd nous fait sursauter. Puis, plus rien. Rien, rien ! Nous ne l’entendons pas redescendre.
Nous attendons. Cinq minutes. Dix minutes. Rien, vous dis-je. Pas un bruit. Nous n’osions pas dire un mot. Nous nous regardions seulement, de plus en plus inquiets.
Finalement nous nous décidons, dans l’angoisse, munis d’une lanterne, à monter tous ensemble. En haut, l’un de nous, le premier arrivé, bute dans le corps de notre camarade. Il était là, par terre, étendu de tout son long. Nous nous penchons vers lui : Messieurs, le garçon était mort.
En relevant le corps, nous nous sommes aperçus que le bas du grand manteau qu’il portait était cloué dans une des planches couvrant le sol. Alors, nous avons compris : en se baissant pour planter son clou, le malheureux n’avait pas vu, dans l’obsc urité, que le pan de son manteau traînait à terre. Il avait enfoncé le clou à travers l’étoffe. Quand il avait voulu se relever, une violente secousse l’avait retenu. Il avait cru que c’était le fantôme qui le tirait. Messieurs, il était mort de peur.
Histoire de Robert MENGIN © Éditions M.D.I. 1994.