Le médecin me fait entrer dans son cabinet, m’invite à m’asseoir:
- Alors ? demande-t- il en me regardant par-dessus ses lunettes cerclées.
- Voilà docteur,depuis une semaine Léopold n’avale plus rien.
Je désigne l’aspirateur que je tiens sur mes genoux. (J’ai appelé mon aspirateur Léopold, en souvenir d’un grand-oncle).
- Même pas une miette ?
- Non, docteur. Pas une miette.
Il se prend la tête dans les mains, réfléchit un moment. Le cas paraît lui poser un problème et son hésitation renforce mon inquiétude. Je crains que Léopold ne couve quelque chose de grave.
- Eh bien je vais l’ausculter, finit-il par dire.
Il prend l’aspirateur, le dépose sur le bureau et colle son stéthoscope près du moteur. Ensuite il lui demande de tousser et termine par un examen de l’orifice. L’attente du diagnostic me semble interminable. Enfin il va se rasseoir. Je prends Léopold dans mes bras.
– Je pense qu’il va falloir ouvrir, dit le médecin avec gravité.
Je pâlis. Ouvrir ? Il y va fort ! Conscient de mon trouble, il s’efforce de me rassurer :
- Bien sûr, nous ferons une anesthésie. Il ne sentira rien.
Je balbutie :
- Est-ce bien nécessaire ?
- Il le faut!
- Alors vous allez ouvrir ?
Il me regarde, étonné, et demande :
- Pourquoi irais-je ouvrir ? Quelqu’un a sonné ? C’est étrange, je n’ai rien entendu.
Et il rit de sa plaisanterie.
Son humour me rassure. Un médecin aussi drôle ne peut pas être totalement mauvais. Je me détends un peu.
- Pour en revenir à l’aspirateur, reprend-il, c’est, à n’en pas douter, une affaire de filtre. Un encrassement, sans doute. Peut-être une obstruction. Je demande s’il ne serait pas possible de déboucher par les voies naturelles afin d’éviter l’intervention chirurgicale.
– Je ne peux pas vous répondre, cher monsieur. Tout dépend du degré d’encrassement. Je vais l’hospitaliser pour des examens.
Je me rends à ses raisons.
Léopold a été admis hier à l’hôpital. Demain je saurai si on ouvre ou si on n’ouvre pas. En attendant, je vis dans l’angoisse.
J’envie les gens qui n’ont qu’un balai. Ils se plaignent mais ils ne connaissent pas leur bonheur.
Claude BoURGEYX, Le fil à retordre, coll. « Arc en Poche », © Éditions Nathan